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 L'intégration

 

   Je sais que le mari de ma tante, la plus âgée, devait venir ici à la fin des années vingt, mais ils ne sont pas restés longtemps. Il a acheté un cheval, il avait aussi une charrette avec laquelle il transportait du charbon et du lait. Il y a même une photo quelque part où on le voit près de cette charrette et ce cheval avec mon père encore petit garçon. Mon père a toujours aimé les chevaux, moi aussi. Mais je sais juste de mon grand-père (que je ne connaissais pas du tout – ma grand-mère, oui, mais mon grand-père, non ; il est mort quatre ans après ma naissance) était un homme très doux, très agréable. Il avait de grandes moustaches, comme tous les hommes de sa génération. Je sais juste que c’était un homme bon et calme, un chouette type. Mon père était le plus jeune, moi je suis aussi le plus jeune des cousins et cousines. Ma cousine la plus âgée avait je crois six ans de plus que ma mère. Elles, elles en savaient sûrement beaucoup plus sur notre famille. Quant à moi, en tant que petit dernier, le plus jeune et avec cette différence d’âge… Il y a une photo quelque part de mon grand-père de l’époque où il faisait partie des « Sokoły », mais ce sont ma grand-mère et ma tante qui participaient le plus aux organisations polonaises. Il me semble que ma tante avait aussi été la présidente de l’association des Polonaises dans les années 1930 et 1940. C’était une chorale polonaise dans laquelle chantait mon père. Ils participaient donc assez activement à la vie de la Polonia. C’est que les Polonais étaient d’emblée bien organisés. Mon père disait aussi qu’ils étaient « bien organisés et se disputaient toujours ». Autrement dit, rien n’a changé en ce monde ! Mon père me racontait que leur approche était la suivante : puisqu’ils étaient venus ici, il fallait vivre avec la société dans laquelle ils se trouvaient et s’y intégrer. Je sais que ma grand-mère connaissait bien l’allemand et que c’est elle qui a commencé à lire les journaux belges et flamands pour apprendre la langue. Mon père, en tant que garçon de huit ans, n’avait pas de problème avec la langue, il allait à l’école ici. Un de ses frères s’est marié en 1930 il me semble, et a demandé la nationalité belge. Il était même dans l’armée belge. Il a dû ensuite faire son service militaire dans les années 1930. Oui, c’était leur approche… Il faut se fondre dans la société locale. D’ailleurs, il y a une anecdote sur ce frère dont j’ai parlé, qui s’est marié à une Belge. Quand il se mettait à parler, les gens pensaient qu’il était d’ici. Il avait une station essence et un garage près d’ici. Et quand quelqu’un disait : « Ecoute, si tu as un problème avec ta voiture, va là-bas », mon père répondait « Eh oui, c’est mon frère ». « Non, non, ça ne peut pas être ton frère, c’est un type de Genk », lui répondait-on. « Non, non, c’est mon frère ». Voilà quelle était leur approche. Le simple fait que mon père est parti pour la France en tant que volontaire montre qu’il était patriote. D’un autre côté, il était enraciné, intégré. De toute façon, c’est d’après moi la caractéristique de la plupart des Polonais, surtout à cette époque avant la guerre. Je l’ai entendu dire par la suite, quand j’ai fait partie des organisations polonaises. Les gens disaient : « notre famille », ils voulaient toujours rentrer en Pologne, pas tous, mais la plupart d’entre eux, ceux qui sont arrivés après la guerre. Et nous, c’était encore avant la guerre… Il y avait une école polonaise ici ; ils préparaient les enfants, juste au cas où, au cas où ils rentreraient, mais ils s’en sont tout de même sortis. C’était primordial. Mais dans ma famille, non, personne n’avait l’intention de rentrer. Ce frère qui plus tard a été blessé à la guerre était un passionné de cyclisme. Il avait participé à des compétitions dans les années 1930. Dommage que mon père ne soit plus là, il aurait beaucoup plus à raconter que moi.