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 Une place sur terre
 

   Nous étions avant tout une famille tout à fait normale, rien de spécial, mais il est vrai que j’avais deux familles complètement différentes. D’un côté la famille de ma mère : ma mère n’avait à vrai dire qu’un seul frère, donc il y avait de ce côté-là qu’un frère et les grands-parents. Mais de l’autre côté, il y avait cette grande famille polonaise où régnait une atmosphère un peu différente, et parfois les plats qu’on y mangeait étaient un peu différents de ceux du côté flamand ou belge, parce que ma mère était belge, et non flamande. C’était curieux. Il y avait aussi une salle polonaise pas loin d’ici. Elle n’existe plus, elle a brûlé dans les années 1970. Justement, c’est une curiosité : les Belges n’avaient aucune bonne salle dans les environs. Cette salle polonaise servait à la société locale polonaise et flamande. Même les organisations chrétiennes ou catholiques, des femmes ou des hommes belges organisaient des fêtes, des rencontres ou même des spectacles de théâtre flamand dans la salle polonaise. Mais on l’a incendié, on ne sait pas qui a fait ça. À l’intérieur, il y avait une bibliothèque, les costumes des groupes de danse, etc. Beaucoup de belles choses. Tous les souvenirs ont été détruits. La vie était différente, à l’époque. Quand il était petit, mon père allait à la messe polonaise. Il y a une petite église près d’ici. Nous étions donc d’ici, mais un peu différents, nous vivions un peu autrement. Mon père, ses frères et sa mère ne se parlaient qu’en polonais. J’entendais donc cette langue, mais je ne peux pas dire que je la connaissais. Ma sœur, elle,  parlait polonais. Nous avions des cousines qui n’avaient parlé que polonais quand elles étaient petites, donc il y avait toujours ce contact avec la langue. De temps en temps, j’avais des problèmes à l’école. J’étais dans un nouveau quartier dans lequel ne vivaient que très peu de Polonais, donc à l’école j’étais le seul élève d’origine polonaise. C’était un petit peu difficile, les enfants peuvent être cruels, parfois. Mais en général c’était bien. On sentait qu’on appartenait à deux sociétés. On peut dire que ma sœur s’intéressait un peu plus au côté polonais. Feu ma mère voyait ça d’un mauvais œil. Mais c’était comme ça. J’ai une sœur qui a trois ans de plus que moi. Elle n’a jamais participé aux organisations polonaises, mais elle avait quand même un très fort sentiment d’appartenance à la nation polonaise. Elle aussi va souvent en Pologne. Nous y sommes allés ensemble l’an dernier, aux archives de Poznań. On y trouve des microfilms sur ces villages, toutes sortes de choses intéressantes. Quelqu’un a dû se tromper une fois en écrivant notre nom, il a écrit par erreur Ptaszyniak au lieu de Ptaszyński et maintenant, on ne sait plus où chercher. Mais c’est très intéressant. Ma sœur est déjà à la retraite. Elle était directrice, et son mari est belge. Elle ne parle plus polonais, mais elle s’intéresse à tout ce qui est polonais. Plus aucun de ceux qui parlaient polonais n’est en vie. Quoique non, il y a encore quelqu’un ! J’ai encore une cousine. Elle habite en Wallonie, elle connaît le polonais. Mais sa cousine, qui habite à 20 km de chez elle, ne le connaît pas. Ma mère se plaignait toujours que ces Polonais finissent toujours par dominer dans la famille. Mais elle avait aussi un problème, parce que mon père était le plus jeune et sa sœur la plus âgée avait 15 ans de plus que lui. Et lui ne s’était marié qu’à 34 ans, et il avait 13 ans de plus que maman. Donc maman était toujours insatisfaite parce que sa belle-sœur la plus âgée avait l’âge de sa mère. Et elles la traitaient comme une jeune inconsciente. Et ça ne lui plaisait pas.